Critiques du film Belle du Seigneur de Glenio Bonder

Dimanche, 23 Juin 2013 18:31 ateliercohen
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Premières critiques du film Belle du Seigneur de Glenio Bonder


Une interview de Philippe Zard sur le site myboox.fr


Interrogé par la journaliste Lauren Malka (myboox.fr), Philippe Zard a exprimé ses inquiétudes avant le film ; recontacté après avoir vu le film, il a exposé ses profondes réserves sur la réalisation de Glenio Bonder.

Extraits :


"Même envisagé pour lui-même, en faisant abstraction du roman, ce film reste un exercice artificiel, qui glisse sans laisser en vous aucune empreinte émotionnelle. Quelques passages réussis, certes, mais beaucoup d’ennui, et le sentiment consternant d’une œuvre superflue. J’ai beau essayer de me concentrer sur ce qui se passe à l’écran, je ne vois que des silhouettes qui gesticulent sans rime ni raison, auxquelles il m’est impossible de m’attacher ou même de m’intéresser sérieusement. En art, l’absence d’émotion est un péché capital.
À vrai dire, ce n’est même pas un navet, ce n’est même pas une catastrophe, c’est simplement un film qu’on oublie presque aussitôt qu’on l’a vu – c'est-à-dire tout le contraire du roman."
[...]
Bonder a surtout eu de la peine à sacrifier quoi que ce soit, il a tenu à mettre "un peu de tout" : un peu d’Adrien, un peu de Mariette, un peu des Deume, un peu de Berlin, un peu de SDN, etc. Seuls les Valeureux et Rachel passent entièrement à la trappe (heureusement, en un sens, qu’ils ne sont pas mêlés à ce ratage). Mais en mettant "un peu de tout", on ne fait pas un film, on ne fait rien : une succession de scènes qui, presque systématiquement, crèvent comme des bulles éphémères à la surface de l’eau.
[...]
Dans ce film, encore une fois, on ne va jamais jusqu’au bout : ni jusqu’au bout de la sensualité, ni jusqu’au bout de la passion, ni jusqu’au bout de la satire, ni jusqu’au bout de la cruauté…
[...]
Quelques secondes de grâce parfois, dans la manière de filmer l’actrice devant son miroir ou quelques minutes de tendresse et de vulnérabilité dans le couple. La scène de la synagogue de Berlin, avec ces images de Juifs en prière et du vieil homme qui se retourne pour fixer Solal, avant que celui-ci ne rebrousse chemin, n’est pas malvenue. [...]
Mais à côté de ces petits bonheurs, que de mauvais choix ! Mauvais choix, cette voix off de Solal dès le début (alors même que le personnage est censé se suicider à la fin du film). Désastreuse, la manière dont Bonder transpose la scène inaugurale du roman (l’offre d’amour de Solal déguisé en vieillard juif). Je crois que le spectateur non prévenu ne peut strictement rien comprendre à cette scène grotesque. Il est vrai que l’adaptation d’un tel épisode est une gageure, mais là, ce n’est plus une adaptation, c’est un attentat.  [...]

- Glenio Bonder apporte-t-il selon vous son univers propre à celui du livre ?


Si vous voulez parler de l’univers de la publicité, assurément. Le choix des séquences courtes, quelques arrêts sur images extrêmement kitsch, quelques initiatives racoleuses (Jack Lang et Georges Kiejman en figurants !), et de très beaux paysages italiens, qui peuvent en tout cas donner des idées de destination de voyage aux spectateurs. Et puis, le politiquement correct. La scène à l’opéra où, avant même de se connaître, Ariane et Solal se retrouvent seuls contre tous à soutenir une danseuse victime d’injures antisémites, n’a tout simplement aucune justification. [...]
Le comble du mauvais goût est cette séance d’actualités cinématographiques où Solal demande à Ariane de le masturber pendant les discours de Mussolini et d’Hitler. Solal jouissant en quelque sorte à la face du Führer : "kolossale" finesse assurément ! Serait-ce cela, la Bonder’s touch ?
Lien vers l'article intégral sur myboox.fr


La critique de Marie-Elisabeth Rouchy (CinéObs)


Quarante-cinq ans après la publication du livre d’Albert Cohen et après plusieurs annonces d’adaptations restées sans suite, « Belle du seigneur » arrive à l’écran. Le diplomate et réalisateur brésilien Glenio Bonder a consacré plus d’une trentaine d’années au projet, emportant, dès 1993, l’adhésion de Bella Cohen, la veuve de l’écrivain, mais peinant dès lors à trouver un financement. Son scénario est habile – il a pris le parti de recentrer l’intrigue sur la seule période de la montée du nazisme, assimilant ainsi le caractère morbide de la relation amoureuse qui lie Solal à Ariane au contexte politique et à l’incompétence de la SDN. La mise en scène est moins heureuse. Gravement malade au moment du tournage, le réalisateur n’a pu en achever le montage, donnant davantage à son film valeur de témoignage que de véritable œuvre.
 


La critique de Sandrine Marquès (Le Monde)


Réputé inadaptable, le chef-d'œuvre littéraire d'Albert Cohen, Belle du Seigneur, fait pourtant aujourd'hui l'objet d'une transposition au cinéma. Condensés en moins de deux heures de récit, les cent six chapitres qui composent cette passion fleuve située dans les années 30, alimentent un film purement illustratif.

Le résultat est d'autant plus malheureux que le réalisateur Glenio Bonder, décédé prématurément en 2011, a consacré sa vie au roman de Cohen qu'il a découvert dans les années 80. Ancien ambassadeur du Brésil aux Etats-Unis, il s'est d'autant plus identifié au livre que l'histoire se déroule dans le monde de la diplomatie, à la Société des Nations de Genève (qui fut l'ancêtre de l'ONU).

Mais de l'épopée foisonnante et lyrique, imaginée par Cohen, Bondere tire qu'une fiction transparente. Peu inspiré, le réalisateur a choisi de se concentrer sur les amours tourmentées des amants "sublimes" (comme Cohen les appelait lui-même), Ariane et Solal. Mariée à un diplomate falot, Ariane succombe au charme de Solal, un séducteur notoire qui se laisse emporter par le vertige des sentiments. Le couple adultérin [sic] va s'anéantir dans la passion.

UNE MISE EN SCÈNE DE PAPIER GLACÉ

Incapable de restituer le tragique de cette relation destructrice et de lui donner simplement corps, Glenio Bonder aligne une série de poncifs qu'accentue une mise en scène de papier glacé. Interprété par deux acteurs-mannequins à la beauté fulgurante mais à la capacité d'interprétation limitée (Natalia Vodianova et Jonathan Rhys Meyers), le film accumule les clichés autour du drame sentimental. C'est une amante délaissée qui pleure dans des draps joliment froissés, un mari jaloux délaissé sans charme ni charisme, un amant fougueux et dangereux.

Certes, le film se dit librement adapté de l'œuvre littéraire d'origine mais son esthétique de magazine féminin haut de gamme le dépareille [sic] de la moindre profondeur. Le personnage de Solal se dit "hanté" par sa maîtresse. Le film ne peut en dire autant, lesté par la vacuité de ses artifices.



La critique de Corinne Renou-Nativel (La Croix)

Librement inspiré de l’œuvre d’Albert Cohen, ce film, qui multiplie les effets, risque fort de ne pas contenter ses lecteurs.

BELLE DU SEIGNEUR*, de Glenio Bonder (France, 1h44)

En 1936, Solal des Solal officie à la Société des Nations où il tente de sensibiliser les uns et les autres au danger de la montée du nazisme et du fascisme. Séducteur aimant davantage courir qu’atteindre son but, toujours trop facile, il s’éprend de la belle Ariane, l’épouse d’un de ses subordonnées, Adrien. Au couple, sans nommer quiconque, il annonce qu’il séduira sous peu une femme mariée. Adrien l’admire. Ariane se montre dubitative – avant de succomber.

Solal quitte Genève et la SDN où il se désespère d’obtenir une véritable écoute, et emmène Ariane vivre au loin leur folle passion. Mais l’aimée, qui incarnait la pureté à ses yeux, a perdu de son éclat dès qu’elle lui a cédé. Dans un palais somptueux, chacun, prisonnier du jeu des apparences, refuse de se montrer à l’autre dans les gestes du quotidien. Leur amour fusionnel se révèle destructeur.

Pendant 25 ans, Glenio Bonder, diplomate brésilien devenu réalisateur, a rêvé d’adapter à l’écran le chef-d’œuvre d’Albert Cohen, en se concentrant sur la passion de Solal et Ariane. Il lui a fallu une détermination exceptionnelle pour surmonter toutes les difficultés et débuter enfin le tournage en novembre 2010. Mais un an plus tard, le long-métrage tout juste achevé, Glenio Bonder est mort à 55 ans d’une maladie rare du sang.

Film d’une vie réalisé dans l’urgence, Belle du Seigneur possède un souffle indéniable. Mais son esthétique de papier glacé peut séduire aussi bien que déplaire.

Surtout, on éprouve quelque difficulté à s’attacher à ses héros. Solal, tourmenté volontiers ombrageux et odieux, est incarné avec conviction par Jonathan Rhys Meyers. Ariane étouffe toute singularité pour se muer en « belle du seigneur » jusqu’à devenir insipide ; elle est interprétée par Natalia Volodianova, mannequin très en vogue, mais comédienne débutante au jeu limité.

En délégués français à la SDN, Jack Lang et Georges Kiejman font une surprenante apparition à la lisière du saugrenu. La musique de Gabriel Yared, omniprésente, semble trop souvent redondante avec le récit. Les aficionados du chef-d’œuvre d’Albert Cohen ont sans doute tout intérêt à retourner aux pages de ce roman réputé inadaptable.


Réaction de Mme Anne-Carine Jacoby, représentante des ayant droit (dans "Fallait-il adapter Belle du Seigneur", Télérama n° 3311, p. 14) :

"C'est une catastrophe. Nous n'avons pas reçu le texte final de l'adaptation, pas été consultés sur le choix des interprètes, qui jouent atrocement mal. On voit même Jack Lang et Georges Kiejman en guest stars ! Ce film est plein d'incohérences et ridiculise ce magnifique roman. Et nous n'avons rien pu faire contre cela, car Bella Cohen avait donné à Glenio Bonder les pleins pouvoirs. Elle arrivait au bout de sa vie, elle était fatiguée, elle s'était entichée de ce personnage brésilien haut en couleur, passionné par Belle du seigneur. La seule chose que nous avons pu obtenir, c'est que la mention adapté de soit remplacée par librement adapté de"

Mise à jour le Vendredi, 28 Juin 2013 17:20