ATELIER ALBERT COHEN

Groupe de recherches universitaires sur Albert Cohen

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Le livre de ma mère, d'Albert Cohen, par Nathalie Fix-Combe

Les cohéniens ne peuvent qu'être heureux de voir l'œuvre d'Albert Cohen reconnue par l'institution scolaire à travers la collection « Profil » des éditions Hatier, si prisée des lycéens… et des enseignants. Ce n'est sans doute pas un hasard si cet événement survient par l'intermédiaire de l'autobiographie : objet d'étude du baccalauréat de français depuis quelques années, l'autobiographique a permis à cet aspect de l'œuvre de Cohen d'être exploré et commenté au lycée.

La collection Profil, à vocation pédagogique, impose sa maquette et sa progression. Nathalie Combe a su les mettre au service de son propos, sans que l'accessibilité nécessaire du contenu critique simplifie les enjeux du texte cohénien. Comment ? Après une fiche rapide de présentation de l'œuvre, vient un résumé des différents chapitres du Livre de ma mère, parfois regroupés. Chacun est intitulé par une courte citation, en gros caractères, qui permet à la parole vivante du texte de garder la primauté sur le résumé. Lorsque l'on s'amuse à mettre bout à bout ces citations-intitulés, la progression de l'autobiographie apparaît… et cela peut constituer un exercice exploitable avec des lycéens.

Chaque résumé est accompagné de quelques lignes de « Repères pour la lecture », qui s'intéressent essentiellement aux personnages de la mère et du narrateur, et sont balisés par des intertitres, soit de commentaire, « L'obsession de la mort », soit paraphrastiques, « La mère et les mères », soit encore problématisés, « Remords ou fascination pour la faute ? ».

La deuxième partie de l'ouvrage, la plus riche, comporte onze « Problématiques essentielles », éclairées à leur tour par des intertitres. Elles abordent d'abord la genèse du Livre de ma mère, sa place dans l'œuvre de Cohen et sa composition, puis l'écriture à travers la diversité des registres qui se succèdent ou se mêlent, le foisonnement du style dans une énumération précise et claire des figures majeures, pour se clore sur l'écart stylistique. Ensuite est abordée la torsion du genre autobiographique lui-même. Peut-être aurait-on pu relier plus explicitement la double torsion du genre et du style à la dernière partie de l'étude : à l'ambivalence des enjeux autobiographiques et des sentiments filiaux comme à la sacralisation de la mère. Dans cette dernière partie, le nouage des enjeux conscients et inconscients, plus discrètement abordés pour ces derniers, est éclairant et précis. Entre les deux, la problématique de l'espace et du temps dans l'œuvre, exercice obligé, tente de trouver sa place. Il est certain que son contenu, qui prolonge et précise bien des problématiques abordées, manque d'unité. Mais pouvait-on faire autrement ? Ces problématiques ne laissent aucun aspect de l'œuvre dans l'ombre et utilisent toutes les ressources de l'analyse textuelle.

Dans ces analyses critiques, dont l'ambition est servie par un langage clair et accessible sans pour autant refuser les termes techniques d'analyse qu'un lycéen doit connaître (et dont les définitions sont souvent rappelées par des notes en bas de page) les citations et les renvois précis au texte sont nombreux : le lecteur venu chercher un moyen d'éviter la lecture de l'œuvre est conduit à la fréquenter malgré lui ! La troisième et dernière partie propose deux lectures analytiques d'environ deux pages chacune, extraites des chapitres VII et XIII, qui ont l'intérêt de mettre en évidence la complexité du narrateur, des points de vue et des registres, comme la richesse offerte à l'analyse stylistique. Elles révèlent également la pertinence des analyses précédentes qui montrent ici leur efficacité.

Voici donc un ouvrage qui parvient à rendre abordable pour des lycéens des années de critique cohénienne, d'une manière qui n'est jamais simplificatrice, même si l'on aurait souhaité, à l'usage des enseignants, une bibliographie un peu plus étoffée. Souhaitons qu'il soit l'initiateur d'une prise de conscience : des lycéens envers une œuvre qui leur parle aussi d'eux-mêmes, de leurs relations filiales, de l'exclusion, mais aussi des enseignants auxquels ce guide de lecture permettra d'apprivoiser une œuvre foisonnante et déroutante, pour en être les passeurs. Ainsi, ce coup d'essai réussi de la collection « Profil » aux éditions Hatier, qui marque l'entrée d'Albert Cohen au panthéon scolaire, pourrait bien entraîner d'autres œuvres de l'auteur à sa suite.


Evelyne LEVY-BERTAUT