ATELIER ALBERT COHEN

Groupe de recherches universitaires sur Albert Cohen

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edito cahier 10

ALBERT COHEN FACE A L'HISTOIRE

Prolongeant et couronnant les études des Cahiers n°9 sur "Cohen et l'Histoire", ce dixième numéro accueille une contribution capitale de Catherine Nicault : "Albert Cohen et le comité Pro causa judaïca". L'exploitation d'archives inédites permet à l'historienne de jeter des lumières nouvelles sur une période à la fois passionnante et mal connue de la vie d'Albert Cohen : celle de ses activités au service de l'Agence Juive et du Congrès juif mondial en 1939 et 1940.

Ce travail rigoureux est précieux à plus d'un titre. Il comble des lacunes, corrige des erreurs, conduit à des évaluations plus justes du rôle politique de l'écrivain au sein de ces organisations — rôle qui ne doit être ni négligé (car l'engagement de Cohen ne fait aucun doute) ni surestimé (ses marges de manœuvre restant somme toute limitées). L'article de Catherine Nicault, centré sur le projet "Pro causa judaïca" — c'est-à-dire, pour l'essentiel, sur tentative de constitution d'un prestigieux comité de soutien aux Juifs persécutés, susceptible de jeter les bases, dans l'après-guerre, d'une solution nationale au "problème juif" — nous fait surtout pénétrer, par un biais particulièrement original, au cœur des réseaux intellectuels et politiques de l'époque. Nous allons de révélations en révélations — ainsi du rôle imparti à des écrivains comme Georges Duhamel ou Jules Romains, ou des débats stratégiques, au sein des organisations juives et sionistes, sur les rôles respectifs dévolus aux politiques, aux écrivains, aux universitaires ou aux dignitaires religieux. C'est en quoi cette étude historique est aussi une contribution à la sociologie des "champs" ; Catherine Nicault va même jusqu'à lancer l'hypothèse intéressante que l'activisme politique de Cohen en ces années ne l'éloigne qu'en apparence de la littérature, dans la mesure où le projet "Pro causa judaïca" était aussi, pour cet écrivain encore partiellement exclu, malgré une œuvre déjà importante, des réseaux officiels, de nouer des contacts avec un milieu duquel il attendait peut-être une forme de "reconnaissance", à défaut de pouvoir jamais s'y intégrer tout à fait.

La deuxième partie de ce volume aurait pu s'intituler, comme les Cahiers n°2 et 3, "Albert Cohen et la tradition littéraire", puisqu'il y est souvent question de mythe et d'intertextualité ; elle pourrait également prendre la suite des Cahiers n°5, "L'Amour en ses figures et en ses marges", puisqu'il s'agit presque toujours des représentations de l'amour ou des figures du désir. Pierre Brunel nous a très aimablement autorisé à reprendre la présentation qu'il fait de l'œuvre d'Albert Cohen, et particulièrement de Belle du Seigneur, dans son remarquable Dictionnaire de Don Juan (coll. Bouquins, Robert Laffont). L'article que nous avons l'honneur de reproduire est à lire comme le témoignage d'admiration d'un grand universitaire à un grand écrivain. Les contributions qui suivent explorent, chacun selon une méthodologie propre, différents aspects de la mythologie cohénienne. Nathalie Fix-Combe consacre des pages très denses à l'ambivalence de "l'Éternel féminin" chez Cohen, en opérant notamment des rapprochements lumineux avec les représentations de la femme — rédemptrice et corruptrice, sainte et coupable, ange et démon — dans la culture médiévale et la cortezia. Isabelle Macquin-Capitaine propose une étude de Belle du Seigneur à travers un angle original : celui du dandysme — dont l'expression quintessenciée serait à chercher dans l'art de nouer sa "cravate". Deux articles viennent compléter cette exploration des mythes : Emmanuel Flory propose une étude renouvelée des rapports de Cohen à la mythologie grecque, à travers l'exemple d'Ariane et de Dionysos ; Claire Stolz se consacre quant à elle, avec sa rigueur déjà proverbiale, à l'étude stylistique d'un mythe moderne : celui de "Charlot", ce "doux dandy dandinant" que le créateur des Valeureux ne pouvait qu'admirer et auquel il a consacré l'un de ses textes les plus fascinants et les plus énigmatiques.

 

Philippe ZARD